Rhônergia, le point de vue des écologistes

Retrouvez ci dessous le cahier d’acteur conjointement écrit par les groupes locaux Bugey-Cotière et Portes du Dauphiné ainsi que la commission Énergie & Climat. Ce cahier d’acteur a été proposé dans le cadre de la concertation préalable en cours. Retrouvez le cahier d’acteur en version pdf en fin d’article.


Aujourd’hui, plus personne ne peut garantir que la Terre sera habitable pour les générations futures. Or, tout le monde sait que cette catastrophe écologique est enclenchée depuis des décennies et qu’elle est aussi une catastrophe sociale et démocratique qui touche toute la société. Nous, les écologistes, souhaitons œuvrer pour la préservation du commun, du vivant et de tout ce qui nous lie.

Nous vivons actuellement un effondrement de la biodiversité, le risque est avéré d’une sixième extinction massive du vivant, dont in fine les humains. La cause première en est le développement industriel et consumériste qui conduit à un empoisonnement des lieux de vie d’espèces. Nous sommes au pied du mur devant un choix de société privilégiant les régulations et équilibres naturels, alliant préservation du vivant, lutte contre le réchauffement climatique, privilégiant la justice climatique et sociale, la sobriété, les services publics, la défense des biens communs comme l’eau et le bien vivre dans un environnement de qualité à l’opposé d’un modèle consumériste du toujours plus, plus d’énergie, plus de production, plus d’inégalités et de la concurrence libre et non faussé détruisant la planète bleue et les conditions de vie sur terre. 

La transition énergétique suppose sobriété et efficacité pour réduire la demande, développement de modes de vie plus respectueux du vivant et permettant le mieux vivre de tous avec une attention aux plus humbles,  et le développement des énergies renouvelables (ENR) pour sortir des énergies fossiles et nucléaires.

Le projet Rhônergia s’inscrit a priori dans le développement des EnR. Il doit cependant être interrogé dans la durée sur la balance coût-bénéfice au regard de son intérêt énergétique limité et de ses impacts sur l’eau et les sols, sur la biodiversité et sur les activités humaines.

Un projet destructeur de l’environnement et de la biodiversité 

Impact sur les nappes et la qualité de l’eau du Rhône

Le surcreusement du lit du Rhône à l’aval du barrage  provoquera un abaissement des nappes phréatiques d’accompagnement. Ceci devrait même affecter le secteur de la confluence Ain – Rhône ainsi que le tronçon du Rhône à l’aval de la confluence et  la basse vallée de l’Ain.

La qualité de l’eau du fait des relâchement des PCB stockés dans les sédiments, le réchauffement de l’eau lié à la transformation en eau calme d’une eau courante modifieront probablement le statut de masse d’eau actuel « en bon état » du secteur au sens de la  directive-cadre sur l’eau européenne sur l’eau. Le projet  est ainsi totalement incohérent par rapport aux efforts entrepris depuis plus de 25 ans en termes de restauration écologique du fleuve Rhône. Concernant l’eau potable, à quelques kilomètres en aval du site retenu se trouve l’aménagement de Miribel alimentant en eau potable la Métropole de Lyon (1,5 million d’habitants) dont 97% de l’eau consommée provient ainsi du champ de captage de Crépieux-Charmy qui exploite la nappe des alluvions du Rhône. Le projet aura sans conteste un impact sur les nappes. Par ailleurs, les polluants éternels stockés, PCB principalement, dans les sédiments du rhône par le passé (doses 500 fois supérieures à la norme européenne) seront relâchés, polluant les eaux en aval, dont le champ captant de Crépieux Charmy. 

Biodiversité, habitat, faune et flore[1]

L’ aménagement Rhônergia impacterait les derniers 25 km de Rhône – soit près de 5 % des 545 km français du fleuve- en fonctionnement quasi-naturel et en bon état écologique. Il va se traduire par la destruction d’un habitat et d’un environnement exceptionnel et unique.Il va entraîner une évolution des communautés biologiques d’eau courante vers un biotope d’eau calme qui va conduire à la disparition de plusieurs espèces (omble chevalier, écrevisse à pattes blanches; mais aussi les chiroptères protégés, 20 autres espèces et 4 mammifères terrestre. L’ennoiement va détruire la ripisylve garante de la biodiversité et de la reproduction de plusieurs espèces. Ces forêts sont pourtant inscrites à la Directive 92/43/CEE en tant qu’habitat prioritaire et constituent un enjeu majeur du PNA en faveur des forêts alluviales du Rhône. En aval, il va affecter deux secteurs de plaines alluviales riches en lônes relictuelles -identifiées en ZNIEFF et classées en Natura 2000- qui seront menacées d’assèchement, avec toutes les conséquences sur la biodiversité, le tout en contradiction avec la priorité de protection et la restauration des milieux humides du gouvernement.Il est en contradiction avec la COP15 qui a insisté sur la nécessité de Restaurer 30 % des écosystèmes dégradés dans le monde d’ici à 2030 au regard des 80% des habitats en mauvais état, avec la stratégie de l’UE en matière de biodiversité pour 2030 visant à mettre la biodiversité de l’Europe sur la voie de la reprise, avec la directive sur l’eau visant à protéger et améliorer l’environnement aquatique et à atténuer les effets des inondations et des sécheresses.

Un projet qui va impacter les activités humaines

Patrimoine et recherche

Destruction du site archéologique « Celtique » du Vernai dont les fouilles ne sont qu’à leur début et d’une richesse au moins aussi importante que le site d’Alésia

Engloutissement du moulin du violet restauré et qui a obtenu le label de la Fondation du patrimoine en 2018 qui a pour ambition de remettre en activité une grande roue

Concernant la recherche, il bafoue tous les travaux de recherche de la Zone Atelier du bassin du Rhône (ZABR). Le Rhône est en effet un site d’importance internationale sur le plan scientifique du fait de travaux précurseurs en termes de compréhension des processus liés à la restauration hydraulique et écologique (Lamouroux et al., 2015) et de compréhension des flux de sédiments et de polluants (Piégay et Radakovitch, 2019). La poursuite du programme RhônEco devrait pourtant  permettre d’approfondir encore la connaissance du fleuve et d’optimiser la qualité de sa restauration et de sa gestion en accord avec les préconisations de la stratégie européenne sur la biodiversité.

Agriculture et pêche

Il est concédé 440 ha à la CNR dont 74 terrestres, une fois la mise en eau ce sont 105 ha qui vont être utilisés plus 40 à 60 ha le long des berges, 12 à 18 ha vont être artificialisés. Cet accaparement des terres couplé avec le développement de la plaine de l’Ain va à l’encontre des objectifs loi ZAN qui prévoit de diviser par 2 le rythme d’artificialisation des sols d’ici 2030 pour aboutir à zéro artificialisation nette en 2050.

L’impact sur la pêche professionnelle a déjà eu lieu puisque les poissons du Rhône sont considérés comme impropre à la consommation (concentration en PCB). Quant à la pêche récréative, les impacts sur la biodiversité affectant directement les poissons, et la moindre qualité de l’environnement naturel ne peuvent que détourner les pêcheurs de leur passion.

Activités de pleine nature et canotage

Il n’y a pas d’étude officielle sur ses pratiques de canoë kayak. Pourtant l’AUPER AURA (Association des Plans d’Eau et Rivières AURA) a recensé 5000 équivalent journée de navigation sur le haut Rhône en n’ayant le retour que de la moitié des professionnels et sans inclure les pratiques autonomes. Cette partie du fleuve répond à une évolution de société sur les pratiques douces qui privilégient des randonnées dans un milieu naturel sur le modèle de la Loire. 

La vie des riverains

La restauration écologique du fleuve, des programmes locaux de mise en valeur de la biodiversité permettant d’appréhender le fleuve comme un écosystème dynamique, riche et vulnérable, représentaient l’opportunité de recréer de nouveaux liens et de repenser le rapport au Rhône des habitants. ce que d’ailleurs est en train de réussir la mobilisation contre le projet.

Un projet inepte au niveau économique et énergétique

Le gouvernement a procédé en 2023 à l’élaboration d’un projet (très discutable) de SFEC (Stratégie Française Énergie & Climat) que les écologistes ont eu l’occasion de commenter. En 2023, la France couvrait sa consommation d’énergie à hauteur de 20.7% par la production d’énergies renouvelables. Cependant, nous allons devoir accélérer car les objectifs européens d’EnR ont été revus récemment à la hausse. Il nous faudrait atteindre à minima 42.5% d’EnR d’ici à 2030.

Avec 37 à 40 MégaWatt (MW) de puissance, soit la plus petite puissance des 19 barrages existant, Rhônergia n’augmenterait que de 1% la production de l’ensemble des aménagements hydroélectriques CNR déjà existants sur ce fleuve. Cette production, variable sur l’année, a toutes les chances de faiblir de plus en plus à l’avenir à cause des modifications du cycle de l’eau induite par le changement climatique (baisse d’étiage de 20% en 2055, disparition des glaciers en Suisse d’ici la fin du siècle). Par ailleurs, le bilan carbone des travaux de construction et de maintenance d’un site n’a pas été calculé, ni leur impact sur la production agricole. Si nous portons l’absolue nécessité de transition énergétique rapide dans notre pays, le projet Rhônergia ne peut absolument pas faire partie de la réponse aux besoins. Les investissements pour cette centrale ne sont pas pertinents sur le moyen terme et la balance coût- notamment pour la biodiversité et la qualité de l’eau- bénéfice ne plaide pas du tout en faveur de cet ouvrage. Il est d’intérêt citoyen pour maintenant et les générations futures que ce projet inutile soit abandonné.

Conclusion : privilégier les alternatives au projet

La CNR présente un projet de barrage dont la puissance est limitée (moins de 40 MW au  total) et à l’équilibre financier précaire, pour un investissement de 330 M€ hors aléas. Mais au vu de l’impact sur la biodiversité, ce projet est à abandonner. De même,  son impact sur les activités humaines est inacceptable. Une autre orientation peut être prise :

  • mener un programme d’amélioration de l’isolation de l’habitat;
  • équiper en mini-hydraulique les seuils existants en proximité;
  • implanter des éoliennes et des centrales photovoltaïques.

Hors projet Rhônergia, la CNR est engagée dans un programme d’amélioration des installations existantes du Rhône, ainsi que dans le développement d’ENR sur des terrains en et hors concession. Cette orientation est à poursuivre, en accélérant les travaux grâce aux fonds rendus disponibles par l’abandon du projet Rhônergia.

C’est l’occasion par ailleurs de  développer un site d’éducation et de sensibilisation à l’environnement cohabitant avec un tourisme doux reconstruisant un lien entre le fleuve et ses riverains. Engageons-nous résolument dans un autre choix de société, qui privilégiera notre environnement, la biodiversité et la qualité de vie des générations futures !


note :

[1] pour décrire l’impact du projet Rhônergia sur la biodiversité locale, nous reprenons entre autres ci-dessous des éléments d’analyse apportés par les contributions et avis de l’Autorité Environnementale, de la ZABR (Zone Atelier du Bassin du Rhône), du CSRPN, de l’ARPAGA, SAGE environnement pour la CNR.