Pour une réorientation de la filière méthanisation vers un modèle mieux contrôlé et bénéfique pour les agriculteurs et les territoires

Adoptée à l’unanimité du Conseil Politique Régional de EELV Nord Pas de Calais, le 19 janvier 2022


Introduction :

La production de biogaz par méthanisation connaît actuellement une croissance exponentielle en France, étant passée de 1 TerraWatt-heure (TWh) en 2007 à 7TWh en 2019. Si la méthanisation participe aux objectifs de la France en matière de développement des énergies renouvelables, les projets de plus en plus nombreux et la taille démesurée de certaines installations entrainent de nombreuses nuisances et des risques non négligeables. Cela se traduit par une méfiance voire une hostilité grandissante – et bien compréhensible – des populations à l’égard de la méthanisation.

La région Hauts-de-France est la 3e région de France après la Bretagne et Grand Est en terme de développement de la méthanisation. Elle accueille actuellement 100 des 1075 installations françaises, donc 9,8% du total national alors que leur superficie ne représente que 5,8% du territoire national.

La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2019-2028 a prévu des objectifs de production de biogaz, dont un objectif d’injection de 6 TWh en 2023 et entre 14 et 22 TWh en 2028.

Eléments de définition :

La méthanisation est une technique de fermentation qui accélère la dégradation des matières organiques d’origine animale, végétale, bactérienne ou fongique, par l’action de bactéries dans des digesteurs en conditions contrôlées et en absence d’oxygène, maintenue à température constante.

Différents modes de production du biogaz existent :

  • les méthaniseurs agricoles,
  • les méthaniseurs non agricoles (détenus par un ou plusieurs industriels, une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités),
  • les installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND)
  • les stations d’épuration (STEP), urbaines ou industrielles.

Différents types d’intrants sont utilisés dans la production de biogaz :

  • Les effluents d’élevage : lisiers, fumiers
  • Les déchets de cultures : pailles de céréales, résidus de maïs, fanes de betteraves…
  • Les Cultures Intermédiaires à Vocation Energétique (CIVE) : semées et récoltées entre deux cultures principales
  • Les cultures énergétiques et alimentaires : cultivées à titre de culture principale, elles peuvent approvisionner le méthaniseur dans une proportion maximale de 15% du tonnage brut total des intrants par année civile.
  • Les sous-produits animaux (SPAN) : résidus d’animaux non destinés à la consommation humaine
  • Les boues et coproduits d’industries agroalimentaires : coproduits induits par la production de produits finis
  • Les déchets ménagers
  • Les déchets verts
  • Les boues urbaines et industrielles (traitées dans les STEP urbaines ou industrielles).

Les méthaniseurs sont des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
A ce titre, ils sont soumis à :

  • déclaration pour un tonnage journalier d’intrants inférieur à 30 t/j ;
  • enregistrement pour un tonnage journalier d’intrants supérieur ou égal à 30 t/j et inférieur à 100 t/j (consultation du public avant autorisation par le Préfet)
  • autorisation pour un tonnage journalier d’intrants supérieur ou égal à 100 t/j (enquête publique avant autorisation par le Préfet).

Soutien budgétaire :

Les producteurs de biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel bénéficient d’un tarif d’achat couvrant les coûts d’investissement et d’exploitation de leurs installations. Ce tarif est établi sur une période de 15 ans. Le surcoût résultant de la mise en œuvre de ces tarifs d’achat est compensé par l’Etat aux fournisseurs. Pour 2022 le montant de ces charges pour l’Etat est estimé à 712 millions d’euros. D’ici à 2030, le coût pour l’Etat est estimé à 16,2 milliards d’euros.

En 2020, 57 millions d’euros d’aides publiques ont été allouées à la construction de nouveaux méthaniseurs.

Bénéfices potentiels de la méthanisation :

  • Participation modérée à la diversification du mix énergétique
  • Renforcement de la souveraineté énergétique (à condition que la méthanisation ne fonctionne pas grâce à des intrants importés ou à une production agricole utilisant massivement des engrais de synthèse, fabriqués à base de pétrole). La méthanisation permet la production d’une énergie facilement stockable et non intermittente.
  • Création d’emplois peu délocalisables, notamment en milieu rural (la quantification exacte demande une étude approfondie).
  • Complément de revenus pour les agriculteurs dans un contexte de grande instabilité (grâce aux tarifs de rachat). Mais la mise en place d’un projet de méthanisation suppose des investissements et donc un risque d’endettement et pose la question de la réversibilité de l’installation (selon sa dimension) pouvant contraindre l’exploitant à se maintenir dans un modèle agricole figé.

Risques et nuisances potentielles de la méthanisation (souvent liés à la dimension du méthaniseur / modèle agricole sous-jacent) :

  • Nuisances liées aux odeurs des méthaniseurs, aux transports d’intrants, à l’impact paysager,
  • Impact potentiel du digestat sur les eaux et les sols (selon la composition des intrants)
  • Risque d’incidents industriels,
  • Risque de fuites de méthane dans l’atmosphère (gaz à effet de serre plus puissant que le CO2)
  • Risque potentiel d’accaparement des terres et de renchérissement du foncier, pour la production de cultures énergétiques et alimentaires utilisées comme intrants et modification des pratiques culturales par le développement des CIVE.
  • Risque d’une concurrence d’approvisionnement entre les élevages (besoin de fourrage) et les méthaniseurs
  • Remise en cause des pratiques d’élevage au détriment du bien-être animal (l’objectif de récupérer un maximum d’effluents d’élevage peut conduire à garder le cheptel en stabulation tout au long de l’année et le nourrir en permanence à l’auge).

Vu le rapport d’information sénatorial « Méthanisations : au-delà des controverses, quelles perspectives ? » du 29 septembre 2021 et notamment la contribution du groupe Ecologiste – Solidarité et Territoires à celui-ci.

Vu la fiche thématique « Quelle méthanisation agricole durable ? » du 07 décembre 2019 des
commissions énergie et agriculture & ruralité d’EELV.

Vu les contributions d’acteurs concernés par le développement de la méthanisation, tels que la Confédération paysanne (Supplément à Campagnes Solidaires n° 356 « La méthanisation est-elle compatible avec l’agriculture paysanne ? »), la coopérative Energie Partagée (Charte sur les projets de méthanisation – avril 2017), Solagro & Négawatt (Note d’information « La méthanisation dans le mix énergétique » – juin 2021), de la Maison Régionale de
l’Environnement et des Solidarités (MRES) des Hauts-de-France (« Projets d’unités de méthanisation – outil d’aide au positionnement argumenté« – décembre 2021), ou encore du Collectif scientifique national méthanisation raisonnée (CSNM).

Europe Ecologie Les Verts Nord Pas-de-Calais :

souhaite réorienter la filière via des normes plus contraignantes, le développement actuel de la méthanisation se faisant au détriment de l’environnement et de la transition agricole. La méthanisation ne doit pas venir renforcer un modèle agricole intensif et participer à l’agrandissement des structures ainsi qu’à l’industrialisation de l’agriculture.

souhaite un modèle de méthanisation adapté aux territoires et s’inscrivant dans une dynamique de changement de modèle agricole. La méthanisation doit rester une activité secondaire ne se faisant pas au détriment de l’autonomie financière de la ferme. Il doit s’agir d’une diversification participant à un objectif d’autonomie énergétique de la ferme
et s’inscrivant dans une démarche d’économies d’énergies et d’économie circulaire. Elle doit donc permettre d’orienter l’agriculture vers des pratiques plus vertueuses : rotation des cultures, diminution assumée des cheptels, suppression des engrais chimiques, sortie des pesticides, limitation de l’irrigation, diversification des assolements, retour vers une polyculture élevage généralisée synonyme de résilience. Les unités de méthanisation doivent être en adéquation avec les caractéristiques locales de gisement et de débouchés pour l’énergie et le digestat afin de contribuer à l’autonomie
énergétique du territoire. Les unités de méthanisation doivent se faire à petite échelle (une ou quelques fermes au plus) ou dans le cadre de projets collectifs territoriaux.

appelle :

  • à renforcer la législation et les moyens de contrôle de l’Etat sur le terrain concernant les approvisionnements en intrants des méthaniseurs existants ;
  • à envisager une diminution du pourcentage maximum de cultures dédiées (actuellement 15%) et à prendre en compte dans le pourcentage de 15% les CIVE (cultures intermédiaires à vocation énergétique – exemples : sigle, trèfle, avoine, vesce) ;
  • à limiter la distance parcourue des intrants à 5 km pour les effluents d’élevage et à 20 km pour les déchets issus de l’industrie agro-alimentaire ;
  • à une vigilance forte et une transparence réelle quant aux épandages de digestat (observatoire local)
  • à proscrire l’emploi d’engrais de synthèse pour développer les cultures intermédiaires à vocation énergétique, qui dégrade le bilan carbone de la méthanisation et la qualité des eaux.

appelle également à renforcer la législation et les moyens de contrôle de l’Etat face aux risques d’incidents industriels et demande, afin d’assurer la sécurité des installations, un renforcement des astreintes sur site et de la formation des exploitants.

demande la baisse des seuils de classement des installations et d’instruction des projets dans un soucis de renforcement de l’information des citoyen.ne.s et du débat démocratique local. EELV Nord Pas-de-Calais demande la suppression du régime de déclaration et la mise en place d’un régime d’enregistrement pour un tonnage journalier d’intrants de 0 à 60 tonnes/jour et d’un régime d’autorisations au-dessus de ce seuil.

appelle en outre au développement de projets citoyens de méthanisation ouvrant largement leur capital au financement collectif et local des citoyen.ne.s et des collectivités locales, et permettant l’implication des citoyen.ne.s dans la gouvernance des projets. D’une manière générale, les unités de méthanisation doivent s’inscrire dans une approche territoriale et locale appropriée par les habitants concernés, d’où la nécessité d’une gouvernance ouverte, associant agriculteurs et citoyens et associations de défense de l’environnement.

Enfin, pour Europe Ecologie Les Verts Nord Pas-de-Calais, plusieurs problématiques doivent faire l’objet d’études scientifiques approfondies et indépendantes, notamment sur l’impact du digestat sur l’eau et le sol ou sur le risque d’accaparement des terres.

Europe Ecologie Les Verts Nord Pas-de-Calais propose aux commissions nationales « énergie » et « agriculture & ruralité » d’EELV de s’emparer de ce positionnement régional pour l’adoption d’une motion de cadrage au niveau national.