la centrale Larivot, une histoire anachronique

Il y a 40 ans, la Guyane avait eu à choisir entre plusieurs types d’énergies. Ce fut la thermique qui fut retenue, avec une centrale temporaire, Degrad des Cannes, en attendant le barrage de Petit Saut. Ce « temporaire » a duré 40 ans. En 2007 la centrale thermique devait déjà être démantelée. En 2020, la centrale est toujours en fonction.

Aujourd’hui, nous sommes au pied du mur avec cette question récurrente et cruciale : que faire ?

Il y a 20 ans que l’alternative devait être faite. Aujourd’hui, à la va-vite, on tente de nous imposer une autre centrale thermique. Sur les 20 dernières années, la part de thermique au pétrole dans la production d’électricité est tombée de 8 à 3% dans le monde. Plus personne ne construit ce genre de centrale. Sauf nous.

Le choix de Degrad des Cannes avait été dicté par une relation simple : la proximité du port et l’éloignement de la population. En effet, en construisant cette centrale loin de tout, on s’assurait une pollution de l’air limitée et un transport réduit au maximum.

Malheureusement, en 2015, une grave pollution de 150.000 litres de fioul rejetés dans la mer vint nous nous rappeller que, bien que nous soyons en Union Européenne, le risque 0 n’existe pas. Il va sans dire que ce désastre a eu des conséquences terribles sur la qualité de l’eau et donc la pèche, la santé et le tourisme. 

En Guyane, les risques liées à la pollution de l’air étaient limités par la distance de Degrad des Cannes et le sens des vents. Tel ne sera plus le cas avec le projet du Larivot.

En effet, cette centrale se retrouvera en plein milieu d’une zone résidentielle, touristique, commerçante et de transit routier. Cette zone, le long de la N1, est déjà durement frappée par la pollution de l’air et les habitants de Balata sont déjà enfumés.

Demain « grâce » à cette centrale, 100 000 personnes vivront à moins de 10km de ces rejets toxiques et y seront directement exposées. Durant la durée des travaux, les poussières de béton et les embouteillages vont dès le départ aggraver encore plus la qualité de l’air déjà médiocre de cette zone. Est il prévu des horaires spéciaux pour la construction afin d’éviter les heures de pics de trafic ? Quid de la santé publique ? Aucune réponse à ce jou malheureusement.

EDF PEI dans son dossier montre une petite carte avec le sens des vents dominants dans la zone.

Ce que cette carte ne montre pas, c’est que les vents tournent et qu’au-delà de la carte, sur le trajet des vents dominants, se trouvent Soula et la Carapa. La quasi totalité de l’agglomération du centre littoral sera donc bien sous la fumée de cette centrale.

Puisqu’elle sera à l’Ouest de l’Ile de Cayenne, nous pouvons facilement imaginer que la croissance et le développement résidentiel de Macouria sera stoppé net par la pollution de l’air. Ceux qui y vivent déjà vont souffrir de la qualité fréquemment médiocre de ce qu’ils respirent. Est-il nécessaire de sacrifier une grande partie de la population pour un projet déjà obsolète sur le papier ? 

Les quartiers de Cogneau-Lamirande et de la Chaumière ne devraient pas être en reste : pour apporter le combustible du port de Dégrad des Cannes au Larivot, il est prévu 14km de pipe-line à travers l’Ile de Cayenne. Les témoignages durant la consultation publique sont éloquents : des expropriations sont déjà en cours !
Ce seront donc 14 km à travers une agglomération, à travers des quartiers populaires et denses avec des expropriations à la chaine et une division de l’agglomération en 2. La Chaumière en pâtit déjà.

Cette centrale est prévue pour durer 20 ans, mais notre expérience montre qu’EDF PEI va très certainement tirer au maximum du possible. On peut déjà imaginer 40 ans de maintenance, d’achat, de rafistolage, comme aujourd’hui. S’ajoute à cela le fait qu’aujourd’hui l’électricité thermique est l’une des plus chères au monde à l’inverse de la production issue d’EnR.

En 2018, EDF Distribution avouait que la consommation d’électricité stagnait depuis des années. Avec des tendances négatives de 1% en 2018. A contrario, il est matraqué que la demande va exploser de 3%. Or ces dernières années la demande stagne, voire recule. Le renouvellement des appareils électroménagers en basse consommation, les énormes efforts du centre spatial, l’habitat mieux isolé compense l’augmentation de la population ainsi qu’une politique de retour vers l’habitat écoresponsable. La marge est encore très grande. Alors d’où vient ce chiffre de 3% ?

Alors que la demande d’électricité est au mieux stable voir en baisse, pourquoi prévoir une centrale si imposante ? Y aurait-il une augmentation de la demande demain ? Y’aurait-il dans les cartons, l’alimentation d’une très grande mine d’or à Espérance ? Cela est sur la table.

Ce qui est certain aujourd’hui et au vu de ce qu’EDF Distribution avoue contraint par la législation, c’est que la demande stagne et rien ne laisse entrevoir la raison d’une augmentation. D’ailleurs, les chiffres agrégés des consommations de 2019 ne sont étonnement toujours pas sortis…

Nous savons tous que l’actuelle centrale tourne bien en dessous de ses capacités en raison de sa grande obsolescence. Il s’agirait donc de remplacer ces 40MW (mégawatts) et non ce farfelu chiffre de 120 MW par une autre source d’énergie. Solaire, hydraulique, biomasse ou autre, il y a énormément de solution de remplacement. Des sites de solutions alternatives avec d’autres entreprises se développent d’ailleurs à travers la Guyane.

Il y a aussi des groupes électrogènes de secours utilisés en permanence à Saint Laurent ou Kourou. Savons-nous si cette nouvelle centrale va les soulager ou permettre leur arrêt ?
Nous n’en savons rien. Tout ce que nous savons c’est que la centrale Larivot va remplacer Degrad des Cannes. C’est tout.

Il est prévu un budget de 500 millions d’euros d’investissement pour ce projet. A titre de comparaison, le barrage de Petit Saut a coûté 400 millions d’euros avec des années de travaux. De la même manière, l’électricité hydraulique est actuellement de 4 à 6 fois moins chère que l’électricité thermique et cet écart ne peut que se creuser avec le temps. Nous pouvons nous autoriser à imaginer des alternatives crédibles, sûres, saines, pourvoyeuses d’emploi, bien moins chères pour le consommateur. La Guyane, la terre des eaux abondantes avec plus de 11h d’ensoleillement par jour toute l’année et recouverte à 95% par la forêt dispose de ce luxe.

Actuellement, le coût de production se situe à 60 c€/kWhs pour le thermique au fioul contre 11 c€ pour l’hydraulique et 45 c€ pour le solaire. Le mix en Guyane est revendu autour de 18 centimes. Alors pourquoi diable investir dans ce qui coûte le plus cher à produire sauf si cet investissement initial est amorti pendant 20 ans pour permettre à EDF de faire de juteux profits. 

Ainsi, que ce soit par la taille ou par le prix, rien ne justifie un tel investissement pharaonique qui sera, bien entendu, refacturé au consommateur. En toute bonne logique, une centrale aussi gigantesque n’est pas créée pour ne pas être utilisée. Bien que la mine d’Espérance soit sur la table, il y aussi l’extinction des autres sources d’électricité qui serait crédible. La filière des énergies renouvelables et ses 700 emplois actuels serait-elle menacée ? 

A tout ce qui est mentionné précédemment, s’ajoute encore une autre possibilité : utiliser de l’huile de palme pour alimenter la centrale, timidement appelée « biocarburant » ou du gaz.

Vers la fin des énergies fossiles, telle était la promesse du président de la république quand il promettait la fermeture des centrales thermiques et à charbon pour 2022 (au moins en théorie). Cette construction est totalement contraire à l’objectif de diminution des émissions de GES et contraire également à la Loi qui prévoit que dans les DROMS en 2030, 100% de l’électricité soit d’origine renouvelable.
Ce choix local des pouvoirs publics est en totale opposition avec ce qui est affiché dans notre Pays. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils justifier une telle opération au regard de leurs engagements nationaux et internationaux ?

Le site étant situé en zone inondable, il est prévu des travaux titanesques pour stabiliser et sécuriser l’installation. Imaginer un site SEVESO en zone inondable est-il vraiment raisonnable ? Comment EDF PEI a-t-il eu cette autorisation ? 

D’ailleurs, l’autorisation par la mairie de Matoury s’est faite dans des circonstances obscures, comment se fait-il que le conseil municipal n’ait été mis au courant qu’une fois le forfait accompli ? Il en va de même de la consultation publique qui vient de s’achever. 

En France métropolitaine, les consultations publiques ont été suspendues en grande partie pendant le confinement, mais pas ici. La consultation étant strictement en ligne et en français et sachant qu’une grande partie de la population n’a pas accès à internet, que selon l’INSEE, 40% de la population aurait des difficultés à lire et à écrire, que 40% de la population ne parle pas français couramment, peut-on parler de consultation publique ?

Il n’était donc pas possible de consulter les 4000 pages de rapport ni d’échanger directement avec un expert. Malgré la difficulté d’accès à cette consultation, 70% des avis déposés sont défavorables. Ce projet mené bien trop rapidement identifié comme contraire aux intérêts des Guyanais.

Curieusement, il n’y a eu aucun d’appel d’offre pour l’exploitation de cette centrale. Quand bien même le besoin eut été fondé et le site trouvé, EDF PEI n’est pas au-dessus des Lois et la Guyane n’est pas sa réserve gardée. Des précisions pour ce manque de mise en concurrence doivent être apportées et des acteurs locaux auraient pu relever le défi de manière différente.

La totalité des acteurs environnementaux (CSRPN, CNPN,…) ont émis des avis défavorables au projet qui fait donc l’unanimité contre lui : sur 4 demandes d’autorisations, les 4 ont reçu un avis défavorable de l’enquête publique : un record !

Madame PHINERA-HORTH, maire de Cayenne et présidente de l’agglomération du Centre-Littoral a émis un avis clairement négatif le 08 juillet 2020 dans un article de Guyaweb. Son avis est soutenu par son collègue, Monsieur LECANTE, maire de Montsinéry-Tonnegrande, Administrateur de l’agence française de la Biodiversité et président du comité de l’eau et de la Biodiversité en Guyane. Leur avis résistera t’il à la pression, au chantage ou au marchandage électoral ?

Ce projet est une absurdité à tous les niveaux. La démonstration de force, le déni de démocratie, l’absence de concertation et de choix nous donnent l’illusion de devoir céder au chantage du black-out. Pourtant, il n’en est rien, car jusqu’au dernier moment, nous pouvons encore en changer. La politique du fait accompli a été menée à chaque étape de l’élaboration par EDF PEI. Aujourd’hui, nous nous devons de nous y opposer avec force.

Alors qu’il semblerait que la centrale devrait être alimentée par de la « biomasse liquide », que la centrale photovoltaïque soit abandonnée, la préfecture serait sur le point de signer. Comment est-il possible, que ce projet en complète refonte ne fasse pas l’objet d’une nouvelle information du public ? que des réunions avec les partisans du projet ait lieu sans retransmission ? 

Comment est il possible que cette éventuelle refonte, si elle devait être confirmée, se fasse sans qu’aucun des opposants ne soient conviés à discuter et améliorer le projet ? Porte close et fin de non recevoir comme depuis toujours.
EDF PEI, malgré les sollicitations de Guyane Ecologie n’a jamais répondu à la demande de rencontre. Le projet est minimal en terme d’emploi et maximal en terme de pollution. La centrale de Luciana en Corse et les relevés atmosphériques autour nous enseignent que peu importe les filtres, l’air sera pollué. 

Il est martelé depuis la fin du confinement par les autorités françaises que la relance serait verte et écologique. En Guyane ça sera une relance grise et au fioul.

Nous réclamons une alternative. 

Il reste 3 ans pour revoir entièrement ce projet.