A-t-on réellement changé de politique énergétique avec l’élection de François Hollande ? Pour l’instant, nous sommes encore en droit d’en douter. La reprise d’un texte rédigé sous la mandature de Nicolas Sarkozy démontre le peu de vision dont fait preuve la nouvelle équipe ministérielle.
Le décret arrêtant la création d’un mécanisme d’obligation de capacité, préparé sous la mandature du président Sarkozy, est paru cette semaine au Journal Officiel. Pourtant, de la Commission de Régulation de l’Energie à l’Autorité de la Concurrence, ce texte n’avait reçu que des avis défavorables. Et cela y compris au sein des rangs du Parti Socialiste : François Brottes, conseiller énergie de François Hollande pendant la campagne électorale accusait alors le gouvernement de « vouloir passer en force pour imposer la spéculation sur le marché de l’électricité au détriment des consommateurs, y compris contre l’avis de l’Autorité de la concurrence elle-même » (voir le communiqué de presse de François Brottes du 19 avril 2012 http://www.francois-brottes.com/index.php/accueil/item/608-loi-nome-il-est-urgent-de-revoir-la-copie).
Le mécanisme occasionnerait en effet un surcoût pour le consommateur d’électricité allant de 200 à 500 millions d’euros par an, alors que le caractère indispensable du dispositif n’a pas été démontré. Pour les écologistes, l’instauration d’un tel mécanisme vient démontrer la vision passéiste du gouvernement sur les questions énergétiques, en dépit des ouvertures dont la majorité avait semblé faire preuve.
Rappelons le contexte : la création d’un marché de capacité a été envisagée suite au rapport Poignant-Sido sur la maîtrise de la pointe électrique en France, puis actée dans la loi NOME qui prévoit la mise en place de ce marché en 2015. Ce mécanisme vise à assurer, même en période de pointe, l’adéquation entre la demande d’électricité et l’offre de production, en incitant les producteurs, via une obligation portant sur les fournisseurs d’électricité, à investir dans des moyens de production électrique de pointe.
Suivre à tout prix les consommations d’électricité sans tenter d’agir sur celles-ci, au mépris des émissions de CO2 générées par des pointes électriques toujours plus conséquentes : telle est la logique derrière l’instauration de ce mécanisme. Nous pensons qu’un système énergétique soutenable passera nécessairement par la diminution de la consommation énergétique globale, via la sobriété et l’efficacité énergétique. La pointe électrique diminuera avec l’isolation massive des logements et la sortie du chauffage par convecteurs électriques, peu performants et source d’un appel massif de puissance en hiver.
L’effacement est certes comptabilisé dans le décret du marché de capacité et c’est une bonne nouvelle. Cette technologie doit être développée car elle sera nécessaire pour adapter la demande à la production électrique éolienne et photovoltaïque. Cependant, l’effacement n’est qu’un report dans le temps d’une consommation d’énergie : or c’est bien le volume global de consommations qui doit être diminué.
Si marché de capacité il doit y avoir, faisons au moins en sorte qu’il soit adapté au nouveau contexte énergétique. Les émissions de CO2 doivent baisser : l’incitation à l’investissement ne doit-elle pas être plus forte pour les centrales gaz à cycle combiné en cogénération, que pour d’autres centrales plus émettrice de CO2 ? Les énergies renouvelables vont monter en puissance : réfléchissons dès maintenant à l’optimisation du futur système de production et faisons de la flexibilité des centrales un critère central des incitations à l’investissement. Un marché de capacité incite à des investissements de long terme : intégrons-y un système d’incitation à la R&D sur la flexibilité des centrales, le stockage de l’électricité et les réseaux intelligents. Ces innovations seront plus que bienvenues pour optimiser le passage des pointes. De plus, l’investissement dans les centrales de pointe à combustibles fossiles ne doit pas être plus rentable que l’investissement dans les énergies renouvelables afin de ne pas décourager celui-ci. Tous ces éléments devraient être pris en compte dans le mécanisme d’obligation de capacité s’il est mis en place. Enfin, arrêtons de penser à l’échelle française et concertons-nous avec nos voisins européens sur la planification à long terme de la production énergétique.
Le décret visant à instaurer un mécanisme d’obligation de capacité échoue donc à reconnaître les nouveaux défis énergétiques et impose une vision maintenant dépassée. Sortir un tel texte sans attendre l’issue du débat sur la transition énergétique ne laisse rien présager de bon quant à sa véritable portée.
En résumé, pour les écologistes, le marché de capacité devrait répondre impérativement aux exigences minimales suivantes :
- un système intégré à l’échelle de la plaque électrique Allemagne-Bénélux-France
- une rémunération des capacités et de la flexibilité
- la rémunération des nouvelles capacités à installer (et non pas rémunérer les capacités déjà existantes)
- être structurellement construit dans pour organiser à la fois la diminution de la pointe et de la consommation en général
Comme le montrent des expérimentations à l’étranger, des systèmes de régulations autres qu’un « marché de capacité » existent également : ils mériteraient d’être étudiés. Quoi qu’il en soit, l’urgence n’étant pas établie, la mise en place du marché de capacité, telle que l’a fait le gouvernement Ayrault, est une faute politique, marquée du sceau de l’archaïsme.
Les clés pour comprendre : le marché de capacité
La sécurité d’approvisionnement en électricité exige d’avoir à tout moment la puissance disponible pour répondre à la puissance appelée par les consommateurs, notamment dans les périodes de pointe (on parle d’adéquation). Avant la libéralisation du marché de l’électricité, la gestion des capacités disponibles était centralisée par l’opérateur historique lequel procédait aux investissements nécessaires pour répondre à la demande. Depuis la libéralisation du marché de l’électricité, plusieurs producteurs cohabitent et aucun n’étant censé répondre à lui seul à l’intégralité de la demande, la question de la sécurité d’approvisionnement se pose. Il faut en effet maintenant que la somme des capacités des différents producteurs soit en mesure de répondre à la demande.
Dans le système français, le producteur d’électricité est rémunéré uniquement par la vente de l’électricité. Cette rémunération est en théorie suffisante pour inciter l’opérateur à investir dans des moyens de production de pointe car les prix de vente de l’électricité plus élevés à la pointe sont censés rentabiliser l’investissement dans les moyens de production de pointe.
Cependant, plusieurs phénomènes sont à l’origine d’un problème de « missing money » qui empêcherait les producteur de rentabiliser pleinement leur investissement et diminuerait ainsi l’incitation à investir dans les moyens de production de pointe. Le marché de capacité est supposé palier à ce déficit d’incitation.
Cependant, la théorie du « missing money » ne fait pas consensus. Il existe de plus des moyens moins onéreux pour réduire la pointe tels que l’abandon du chauffage électrique, l’isolation des bâtiments et la différenciation du tarif entre heures pleines et heures creuses pour les entreprises (avis du 12 avril 2012 de l’Autorité de la Concurrence)
Rappels : la pointe hivernale de 19h, un mal français qui est le résultat de la politique « tout nucléaire, tout électrique »
La « pointe » de consommation hivernale est une caractéristiques française, due en grande partie (au moins la moitié) au développement du chauffage électrique. D’après RTE (Bilan annuel 2009), lorsque la température baisse d’un degré en moyenne, les Européens consomment 5 000 MW de plus, dont 2 300 MW en France, 600 MW en Grande-Bretagne, 500 MW en Allemagne et 300 MW en Italie. 2012 a vu s’établir encore un triste record, avec une demande à plus de 100 000 MW. Ce « record », qui est une triste performance, est battu d’année en année.
En savoir plus sur la pointe, voir par exemple le rapport Negawatt « La pointe électrique en France, zéro Pointé »