COP28 – Jour 7

Alimentation et agriculture, grands programmes et négociations en cours

Compte rendu de mon entretien avec un négociateur agriculture de la COP28.

Le 1er décembre, les dirigeants de 134 pays ont signé une déclaration commune sur l’agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l’action climatique, et ont de ce fait porté ces sujets haut à l’agenda de la COP. Des engagements ont été pris sur le soutien financier pour la transformation des systèmes alimentaires, ainsi qu’un examen à la COP29 en 2024.

Pourquoi la sécurité alimentaire est-elle désormais un sujet clé de la COP ?
Ça y est, c’est bien compris de tou·te·s : on n’a jamais cultivé dans un monde si chaud ; 34 % des récoltes et du bétail ont été perdus dans les pays les moins avancés en raison de la sécheresse, pour un coût de 37 milliards de dollars ; le changement climatique conduit à ces crises alimentaires, qui conduisent à des conflits, qui conduisent à des crises alimentaires, exacerbées par le changement climatique, qui conduisent à des déplacements forcés… dans une accélération inextricable. Le problème doit donc être examiné dans son ensemble, avec les objectifs de résilience, de paix et de justice sociale. La nécessité d’inclusion de tous les acteurs est comprise ; les pays, les ONG, les agriculteurs, les peuples autochtones, tout le monde a parlé. Notons quand même, même si la mise en œuvre tarde, que la France porte à l’international l’agroécologie comme une solution complète, prenant en considération la diversité des cultures, la co-création de savoirs locaux et scientifiques, les traditions alimentaires, les valeurs sociales et humaines. Se référer à l’article 1 de notre code rural !

Avant-hier a été lancé le programme d’appui à la cuisson propre des femmes africaines, question cruciale d’égalité des sexes, de justice et de droits économiques. Pourquoi ?
La cuisine au feu de bois prend trop de temps pour ramasser le bois et empêche les filles d’aller à l’école et les femmes d’avoir un autre travail et est source de déforestation. Elle entraîne des maladies respiratoires et pulmonaires, mortelles pour 4 millions de femmes chaque année, plus que le paludisme, la tuberculose et le VIH réunis. Le programme lancé à la COP28 a donc pour objectif l’adoption de la cuisson propre en Afrique, l’autonomie des femmes par la formation et le soutien, la coopération régionale et l’échange de connaissances, pour un financement estimé à 2 milliards de dollars par an.

Quels sont les autres enjeux importants globalement ?
Des discussions sont également en cours sur la « smart agriculture », disons l’agriculture aidée par les technologies digitales, en bon français. Il va falloir de l’innovation pour s’adapter, et la technologie est vue comme potentiellement décisive. Le sujet de l’IA a bien entendu été abordé, pour mieux comprendre et prédire les phénomènes météorologiques, hydrologiques, les évolutions des sols, identifier les meilleures semences, et mieux piloter l’irrigation. L’IA permettrait d’atténuer 5 à 10 % des émissions de gaz à effet de serre, et une meilleure adaptation. L’idée nouvelle portée ici est de considérer que tous les agriculteurs doivent prendre part à ces innovations, et avoir accès libre aux données et en tirer directement les bénéfices.

Il y a également eu une session sur l’inégalité des sexes dans les systèmes techniques agroalimentaires. Il a été rappelé que la technologie n’est pas neutre en matière de genre ; elle est biaisée par ses concepteurs et ses développeurs. Tout comme la mécanisation agricole qui, dans sa conception, n’est pas favorable aux femmes. Les femmes ont de meilleures opportunités dans l’économie informelle pour gagner leur vie, alors que l’économie formelle est un marché genré où elles sont largement désavantagées.

Des travaux méthodologiques sont aussi en cours, avec par exemple la question très complexe de comment mesurer les effets de l’adaptation : la variabilité des rendements avec les années, et selon l’évolution climatique, par rapport à une moyenne… On parle de modèles, de statistiques…  Même les plus grands se grattent la tête, aucune des instances internationales n’ayant les mêmes indicateurs.

Ces programmes sont constructifs et enthousiasmants. Mais alors, qu’est ce qui se joue en plus dans les négociations en cours ?
Chaque pays, chaque groupe tente de valoriser son point de vue. Les pays du sud insistent sur les besoins d’adaptation et sur la mise en œuvre financière, alors que les pays du nord insistent sur les besoins d’atténuation (réduction des émissions) et sur la nécessité de la science. Et ce sur tous les sujets du thème :  sols, nutriments, élevage, effluents d’élevage, agropastoralisme, sécurité alimentaire, gestion des risques, systèmes d’alerte, etc. L’enjeu est bien, comme pour les autres sujets, de produire une décision de COP qui présente les lignes directrices pour l’agriculture et demande à tous les pays et toutes les institutions financières de s’y référer. L’enjeu est également de flécher les financements  climat vers les agriculteurs, et en particulier la petite agriculture : les experts ont estimé qu’il faudrait 400 milliards de dollars par an pour transformer les systèmes agroalimentaires, alors qu’aujourd’hui, une infime part des financements climatiques est dirigée vers les agriculteurs. Il a été calculé que chaque dollar dépensé permet d’économiser 10 $ en aide humanitaire. 

Pour la première fois, la COP des villes

Les villes sont responsables de 75 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et de ce fait doivent jouer un rôle essentiel dans la lutte contre le changement climatique et la protection des populations. Par ailleurs, elles connaissent des situations graves de canicules, de pollution de l’air et de l’eau, avec des effets dévastateurs pour les populations.

La semaine dernière, une délégation internationale de 450 maires et élus dirigée par le C40 (organisation des villes du monde) s’est réunie, avec Anne Hidalgo, présidente du C40, pour le premier sommet global de ce type à la COP. Le groupe a rappelé le besoin de l’élimination des combustibles fossiles, de lutter contre les injustices climatiques et appelé les dirigeants mondiaux à travailler avec eux, dans une lettre ouverte.

Le C40 a présenté son référentiel d’actions pour la lutte des villes contre la crise climatique, pour réduire de moitié leur consommation de combustibles fossiles d’ici 2030 et en créer 50 millions d’emplois verts. Ce cadre souligne la nécessité pour les villes de collaborer avec les communautés locales, les entreprises, les groupes financiers et les organismes gouvernementaux pour créer des villes neutres en carbone, des économies résilientes et des communautés saines. Expansion et électrification des transports publics accessibles à tous, efficacité énergétique des logements, accès raisonné à l’eau, adaptation des écoles, des hôpitaux et de tous les services face aux canicules, accompagnement des plus vulnérables, bâtiments écologiques, les villes ont besoin de financements internationaux et nationaux.

Tels ont été les messages porté par Rio, Paris, Copenhague, Dakar, Bogota, et toutes les villes du C40 à la première COP des villes ! 

Feuille de route pour un habitat durable en Afrique

Cette COP des villes m’a fait penser à la déclaration de Yaoundé, feuille de route pour un habitat durable en Afrique, adoptée en octobre lors du sommet Pré-COP des acteurs africains sur les villes. 1500 acteurs africains de la « communauté climat » : personnalités de haut rang, experts, acteurs du terrain, gouvernements locaux, des entreprises et de la société civile, se sont regroupés pour traiter de la question de l’urbanisation durable et inclusive en Afrique.

Car les villes africaines se développent ultra rapidement et accueilleront en 2050 les deux tiers de la population du continent. Et cette urbanisation en cours n’arrive pas à se faire de manière organisée pour avoir des bonnes infrastructures : de l’eau, de l’électricité, des transports, des habitats, des services. Nombreuses villes africaines sont informelles pour leur habitat, leur économie et leur gouvernance.

Il en a résulté cette feuille de route commune qui porte la voix des acteurs africains et présente l’ensemble des propositions concrètes pour accélérer l’action dans les territoires africains.