Droit de réponse
Suite au début de polémique sur ses déclarations « presque » climato-septiques, le président émirati Sultan Al Jaber, a réaffirmé hier lors de sa conférence de presse qu’il respecte les préconisations scientifiques sur le changement climatique et qu’il appelait à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 43% d’ici à 2030. Il tient encore une conférence de presse ce mardi 5. Suspense !
Sortie ou réduction ?
Hier, la présidence émiratie a publié un résumé des premières discussions sur les énergies fossiles. Ce compte rendu a surpris ! Le texte estompe les demandes de « sortie » des énergies fossiles. En réponse, voilà le Sultan Al Jaber qui précise : « J’ai dit et redit que la réduction et la sortie des énergies fossiles étaient inévitables. » euh…
Lui, finalement ne fait que mettre en lumière la multiplicité des positions des pays. Les nations insulaires et plusieurs pays d’Amérique latine (Colombie, Pérou, Chili…), ainsi que l’UE défendent de viser l’objectif de 1,5 °C plutôt que 2 °C, en sortant au plus vite des énergies fossiles . D’autres pays producteurs d’hydrocarbures (États-Unis, Canada, Australie, Norvège), sont favorables à cette sortie, mais avec moins d’ambition sur cette décennie. La plupart des pays africains sont aussi pour la sortie des énergies fossiles, mais en bénéficiant d’un délai plus long que les pays développés. La Chine et la Russie se sont opposés à toute mention des énergies fossiles dans le texte. L’Arabie Saoudite, premier exportateur mondial de pétrole, est “absolument opposée” à la sortie des énergies fossiles et prône le recours aux technologies de captage du carbone dans tous les angles des négociations.
Article 6 de l’accord de Paris : planter des arbres peut-il sauver la planète ? Négociations en cours !
Ce matin, échange avec Judith Lachnitt, chargée du plaidoyer international au Secours catholique, climat et souveraineté alimentaire.
L’article 6 de l’Accord de Paris c’est quoi ? C’est l’article qui traite du marché carbone. L’article a été adopté à la COP21, adopté à la COP26. Et maintenant, il ne reste plus qu’à le rendre opérationnel, on rentre dans le vrai, le concret, le dur.
Que dit l’article ? Que les pays peuvent s’échanger des crédits carbone entre eux, et les entreprises peuvent aussi échanger avec des pays. Ça existe déjà ? Oui, mais ça fonctionne mal, il peut y avoir des doubles comptages, du coup il faut refaire, mais avec des règles bien précises sous l’égide des Nations Unies. Pour rendre opérationnel ce marché, des négociations ont lieu en ce moment sur … TOUT.
Premier sujet : qu’est ce qui crée du crédit carbone ? Je suis une entreprise, je sur-pollue, je veux compenser mes émissions en investissant dans un projet au loin. Chaque tonne réduite ou séquestrée est matérialisée par un crédit carbone. Je peux faire quoi ? Captage et stockage de carbone ? Energies renouvelables ? Fours de cuisson propres pour la cuisine ? Plantation d’arbres ? Activités de conservation de forêts ?
Chaque idée a déjà prouvé sa fragilité, eu égard aux abus. Par exemple, sur la conservation des forêts, le cas est connu : un pays se base sur un scénario de référence très pessimiste : ma forêt va être fortement déforestée, donc je vends mes crédits carbone à une entreprise juste pour éviter que ma forêt soit déforestée. Du coup, l’entreprise s’est verdie, le pays a gagné de l’argent, mais la forêt, elle n’a rien gagné… Elle a juste évité une catastrophe qui n’était pas certaine !
Deuxième sujet : la non-permanence. Emissions certaines et absorption présumée. Si une entreprise ou pays émet des gaz à effet de serre (GES) aujourd’hui, et investit dans la plantation d’arbres, ces arbres ne vont pas immédiatement compenser, et rien ne garantit qu’une fois adulte, ils vont compenser pendant toute la durée de vie des GES émis dans l’atmosphère, soit 100 ans en moyenne. En plus, le projet pourra être arrêté en cours, l’usage des terres pourra changer dans le temps. L’arbre pourra être malade, ou encore partir en fumée…
Troisième sujet : les droits humains. Si un pays autorise le lancement de méga-projets de compensation sur ses terres, que deviennent les propriétaires et les usagers ? Le projet BaCaSi de Total Energies au Congo est le type même de projet désastreux, avec 40 000 hectares réservés pour la plantations d’arbres à développement rapide, en interdisant l’accès aux populations locales, sans concertation aucune. Le résultat de ce type de projet est bien une compétition entre l’activité de séquestration et l’usage des terres par leur population. Si on appliquait à ces pays ne serait-ce que les mêmes standards qu’en France, concertation, respect des droits, alors ces projets ne verraient jamais le jour.
D’après le secours catholique, il n’est plus tenable d’être contre le marché carbone, il existe déjà. Le nouveau texte en cours de négociation à la COP devra encadrer tout cela ! Être prescriptif sur les activités de compensation possibles, réaffirmer les droits humains comme socle de tout projet, imposer la transparence du marché via une autorité de contrôle indépendante, rappeler leur devoir de vigilance aux états, et flécher une partie des échanges financiers des crédits carbone vers les fonds d’adaptation.
Même si tout cela pourrait aller dans le bon sens….un marché qui financiarise la nature et permet de continuer à émettre des GES, tout ceci n’a rien d’un changement de système !