Retrouvez ci-dessous le texte de la motion votée lors du conseil fédéral des 17 et 18 mars 2024
Résumé
L’organisation actuelle du marché de l’électricité, bien essentiel, pilier de la transition énergétique, n’est pas satisfaisante. Elle protège insuffisamment les consommateur·ice·s vulnérables et ne permet pas aux États membres d’atteindre leurs objectifs politiques de décarbonation, le dogme de la concurrence montrant ses limites. L’électricité devrait pourtant être accessible à tous·tes et les choix la concernant être le fruit de délibérations démocratiques.
La motion propose donc une évolution des directives européennes pour permettre aux États membres de mieux maîtriser leur mix électrique et le service offert aux consommateur-ice·s tout en préservant l’optimisation de la rencontre entre l’offre et la demande électrique à la maille européenne, indispensable pour éviter le blackout.
Exposé des motifs
Le marché européen de l’électricité est conçu suivant les principes de la pensée économique néolibérale qui théorise l’efficacité des mécanismes du marché et de la concurrence dans la recherche de l’optimum social. Historiquement géré par des opérateurs publics en situation de monopole, le secteur électrique suit désormais une logique de compétition entre acteurs privés. Pourtant, depuis la libéralisation des années 1990-2000, de nombreuses interventions publiques ont dû être ajoutées pour corriger les défaillances du marché. Le modèle en place est donc un système hybride, entre marché et interventions publiques.
C’est ce modèle que les écologistes défendirent, en leur temps, avec l’idée de briser le monopole nucléocrate et fossile pour voir naître des opérateurs proposant une alternative renouvelable. Depuis, la part des renouvelables a augmenté et la démocratie énergétique a pris son essor, incarnée par les coopératives, communautés énergétiques et autres projets d’autoconsommation collective. Il n’est pas envisageable de voir ces acteurs disparaître pour revenir à un monopole d’État.
Pour autant, il faut admettre que le système actuel ne permet pas d’atteindre les objectifs d’une politique énergétique écologiste, à savoir : garantir le droit à la subsistance, garantir le droit à une énergie accessible dans le respect des limites planétaires, respecter les objectifs climatiques onusiens. L’atteinte de ces objectifs passe notamment par : une démarche individuelle et collective de sobriété juste, dans laquelle s’envisagent le principe des premiers kWh gratuits et le plafonnement des consommations excessives ; la réalisation d’installations de production d’énergie renouvelable et des réseaux associés.
Plus de 20 ans après sa mise en œuvre, il convient d’amender ce mode d’organisation, considérant : l’instabilité des prix, l’importance du prix du gaz dans la fixation du prix de l’électricité, l’illégitimité de la rémunération de certains acteurs, et la difficulté à planifier l’équilibre offre-demande électrique à long-terme. Les dirigeants européens ont insisté sur l’indispensable équilibrage à court-terme de l’offre et de la demande d’électricité mais sans réfléchir à construire un signal prix de long terme à adresser aux usagers de l’électricité.
En effet, un des principaux défauts du modèle en place est qu’il entretient un flou de responsabilité entre les États, l’Union Européenne et les acteurs privés qui sont censés investir en fonction des opportunités économiques. Ainsi, c’est l’Union qui fixe des objectifs politiques concernant le taux d’énergie renouvelable dans la consommation finale. Dans le même temps, les États, qui demeurent maîtres de leur mix énergétique, ont l’obligation de produire une forme de planification énergétique via les plans nationaux intégrés en matière d’énergie et de climat (PNIEC). Charge au marché de susciter les investissements privés au gré des opportunités économiques. Évidemment, la main invisible ne permettant pas d’atteindre les objectifs de la planification, les États interviennent via des appels d’offres, des tarifs garantis ou autres mécanismes. Ce flou de responsabilité est préjudiciable au regard des enjeux sociaux du système électrique.
De manière générale, le prix de l’électricité, fruit de la confrontation entre offre et demande d’électrons, ne saurait déterminer, à lui seul, les décisions d’investissements dans les infrastructures électriques. L’introduction de la concurrence sur le marché de détail n’a pas apporté, par exemple, les avancées attendues en termes d’efficacité énergétique et de flexibilité, éléments pourtant indispensables pour un système électrique 100% renouvelables. Au contraire, il semble occasionner une captation substantielle de valeur économique sur l’ensemble de la chaîne entre les producteurs et les consommateurs, ce qui est incompatible avec l’exigence de justice sociale.
Finalement, le modèle actuel offre à la puissance publique une capacité réduite à organiser le secteur électrique et pourrait conduire à l’établissement d’un oligopole privé lucratif. Or, les défis techniques de l’intégration d’électricité produite à partir d’énergies renouvelables impliquent une coordination d’investissements, de choix techniques, de pratiques de consommations qui supposent des interventions publiques accrues sur le marché.
Ainsi, Les Écologistes – EÉLV défend une évolution des règles européennes pour permettre une réelle subsidiarité des décisions relatives au mix électrique tout en préservant les mécanismes d’optimisation entre l’offre et la demande à l’échelle européenne.
Cela suppose de laisser la possibilité aux États membres de modifier partiellement l’organisation du secteur électrique sur leur territoire afin d’atteindre les objectifs européens. Une autonomie accrue des États membres ne saurait, pour autant, porter atteinte aux échanges au sein du réseau européen. L’augmentation du niveau d’échange entre États membres permettra de maintenir la sécurisation des approvisionnements via les interconnexions et le marché de gros qui demeurent nécessaires.
Motion
Le Conseil Fédéral des 17 et 18 février 2024 se prononce pour :
Renforcer la prégnance des objectifs européens en matière de renouvelables et de sécurisation de l’approvisionnement
- L’Union Européenne (UE) devrait définir des objectifs intermédiaires, notamment de réduction des consommations par la sobriété, permettant l’atteinte d’un mix électrique 100% renouvelables en 2040 ainsi qu’un niveau suffisant de sécurisation de l’approvisionnement électrique.
- L’UE doit jouer un rôle renforcé de coordination des trajectoires des mix électriques des États membres de façon à identifier d’éventuelles insuffisances de moyens.
- Les règles budgétaires européennes et les instruments de financement européens doivent permettre aux États membres d’assurer un niveau d’investissement suffisant, y compris via l’emprunt, dans les moyens de production d’énergies renouvelables : les États déficitaires dans leur contribution à l’atteinte des objectifs européens de déploiement des renouvelables, devront revoir leur planification ou nouer des accords de compensation avec leurs voisins.
- L’UE doit assurer une maximisation des capacités d’échanges entre pays européens, que ce soit via des investissements dans des capacités physiques d’interconnexion ou les outils d’échange tels que la bourse de l’électricité.
- L’UE doit retirer les investissements dans le gaz fossile et le nucléaire de sa taxonomie verte.
Donner les moyens aux États membres de respecter les objectifs de l’UE
- Les États membres doivent pouvoir intervenir si les investissements sur leur territoire ne sont pas conformes aux objectifs convenus avec l’UE. En cas d’appels d’offres infructueux, ils doivent pouvoir imposer des obligations de service public supplémentaires aux acteurs de marché, voire déroger au droit de la concurrence.
Renforcer la maîtrise publique de l’activité de fourniture et la décentraliser
- Relever le niveau des obligations imposées aux fournisseurs : les États membres doivent pouvoir exiger que les fournisseurs détiennent un certain taux de moyens de production ou contractualisent sur le long-terme avec des producteurs afin de couvrir les besoins annuels de leurs clients. Ceci vise à éteindre le phénomène des fournisseurs non-énergéticiens, adeptes d’une logique spéculative et de rendre la formation du prix de l’électricité moins dépendante des fossiles, donc moins volatile.
- Encourager les activités des coopératives nationales, qui se fournissent chez des producteurs d’énergie renouvelable, des communautés d’énergie renouvelable ou à l’autoconsommation individuelle et collective qui participent d’une démocratie énergétique que nous défendons.
Lutter contre la précarité et la pauvreté énergétique
- Interdire la coupure d’électricité pour cause d’impayés dans toute l’UE.
- Augmenter massivement le fonds social pour le climat pour aider les ménages les plus précaires et l’utiliser pour financer des chèques énergie ou des mesures équivalentes. Les mesures indifférenciées telles que le bouclier tarifaire doivent être proscrites en raison de leur absence de caractère redistributif, de leur impact sur les finances publiques et de la subvention massive aux fossiles qu’elles incarnent.
- Les États membres devraient pouvoir obliger les fournisseurs d’électricité à proposer des offres à prix stables pour les ménages déclarant des revenus ne dépassant pas un certain plafond. Les fournisseurs pourront répercuter, dans une certaine limite, la perte induite sur leurs offres à prix variables.
Annexes
I) Comprendre l’organisation du marché de l’électricité
Depuis la libéralisation du marché de l’électricité par les directives de l’Union Européenne, au cours des années 2000, le monopole d’EDF sur le secteur électrique a pris fin.
Avant, EDF gérait tout (ou presque) : l’entreprise était, sauf exceptions, la seule autorisée à produire de l’électricité et fournissait l’ensemble de la population, en plus de gérer les réseaux sur lesquels passent les électrons.
Maintenant, il y a une distinction stricte entre les différentes composantes du secteur électrique selon qu’elles répondent à une logique marchande ou non :
- Activités régulées où demeure une situation de monopole :
- Transport (haute-tension) : l’État concède la gestion à RTE qui s’assure de l’équilibre offre-demande.
- Distribution (moyenne et basse-tension) : les collectivités locales, propriétaires des réseaux, en concèdent la gestion à Enedis (95% du territoire) ou aux Entreprises Locales de Distribution (5% du pays). Dans de très rares cas, les collectivités gèrent directement le service public sous forme de régie mais il est interdit d’en créer de nouvelles.
- Activités concurrentielles où s’affrontent différents acteurs de marché :
- Production : plusieurs entreprises exploitent des centrales électriques qui s’appuient sur diverses sources d’énergie. Aujourd’hui c’est principalement le nucléaire mais progressivement les renouvelables (hydraulique, éolien, photovoltaïque…) prennent leur essor. Opérateur historique, EDF est encore le principal producteur grâce à l’exploitation des centrales nucléaires et hydrauliques héritées de l’ère pré-libéralisation.
- Fourniture : différentes entreprises, parfois les mêmes que celles qui font de la production (ex : EDF, Enercoop), vendent de l’électricité aux clients finaux tels que les ménages, les PME ou les gros industriels. Les clients finaux sont ceux qui consomment réellement l’électricité produite.
Le principe qui domine est celui de la séparation des activités du secteur. Même si les gestionnaires des réseaux sont (presque tous) des filiales d’EDF, leur fonctionnement répond au principe d’indépendance stricte vis-à-vis de l’entreprise publique. En effet, ils doivent garantir le respect d’un principal cardinal : l’accès non-discriminatoire des tiers aux réseaux. Interdiction, donc, pour Enedis de privilégier EDF quand il s’agit de raccorder des centrales de production ou de favoriser Total Énergies quand il faut créer un nouveau point de livraison pour un client.
Le problème c’est que ce système a des limites : tarification pour les clients, gestion de l’avantage retiré par EDF du fait qu’elle détient des centrales nucléaires déjà amorties produisant à bas coût (cf. fiche relative à l’ARENH produite par la Commission Energie-Climat).
II) Comprendre la tarification de l’électricité des ménages
Depuis que les directives de l’Union Européenne ont libéralisé le marché de l’électricité, dans les années 2000, les usagers du service public sont devenus des consommateurs d’un bien. Désormais, la fourniture d’électricité aux clients finaux, entreprises comme particuliers, est une activité concurrentielle. Tout consommateur bénéficie du principe de libre choix de son fournisseur d’électricité : il peut rester avec le fournisseur historique, EDF, ou choisir un fournisseur « alternatif ». L’ambition de l’UE est d’assurer la compétitivité des prix et des niveaux de service plus élevés.
Pour s’approvisionner en électricité et servir leurs clients, les fournisseurs ont deux options :
- Produire eux-mêmes l’électricité avec leurs propres centrales, ce que fait EDF avec l’hydraulique et le nucléaire.
- Acheter l’électricité pour la revendre, ce que font la plupart des fournisseurs alternatifs qui s’en procurent :
- Directement auprès des producteurs, via des contrats d’achat de long-terme (PPA) ou via l’ARENH, dispositif applicable uniquement à EDF (cf. fiche réalisée par la Commission Energie-Climat), légalement tenu de vendre environ un tiers de sa production nucléaire à un prix réglementé « cassé ».
- Sur le marché de gros qui comprend :
- Un marché à terme : les fournisseurs y achètent la promesse d’une quantité d’électricité à délivrer par le producteur à moyen-terme, généralement quelques années.
- Un marché « spot », sorte de bourse de l’électricité où les prix fluctuent selon l’heure de la journée. Pour assurer la sécurité d’approvisionnement au niveau européen, le prix est déterminé par le coût marginal de production de la dernière centrale appelée pour répondre à la demande du lendemain. En d’autres termes, il correspond au prix coûtant de la dernière unité d’électricité vendue une fois injectés, par ordre de prix croissant, l’électricité de toutes les autres centrales. Généralement, l’électricité issue de sources renouvelable et nucléaire est toujours intégralement injectée. Autrement dit, c’est souvent une source fossile qui vient finaliser l’équilibre offre-demande. Si c’est du gaz, c’est son coût de production qui déterminera le prix du marché « spot ». Cela explique l’envolée du prix de l’électricité depuis le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne : le gaz se faisant rare, son prix a augmenté et celui des centrales électriques à gaz avec.
Côté consommateurs, depuis le 1er juillet 2007, les consommateurs domestiques et TPE ayant souscrit une puissance inférieure ou égale à 36 kVa, c’est-à-dire tous les ménages, peuvent choisir entre deux types d’offres de fourniture :
- Aux tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE), fixés par arrêté ministériel sur proposition de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), ne peuvent être proposés que par EDF ou les ELD. La formule de calcul, dite par empilement des coûts, prévoit que le montant reflète la moyenne des coûts d’approvisionnement (notamment via l’ARENH et le marché) des fournisseurs alternatifs afin d’assurer la « contestabilité » du TRVE. Autrement dit, les TRVE donnent la possibilité aux alternatifs de concurrencer EDF en dépit de coûts d’approvisionnement plus élevés que ceux de l’entreprise publique.
Ce tarif ne reflète donc absolument plus un prix plancher correspondant aux coûts de production d’EDF. Il donne un indicateur au consommateur de l’attractivité des offres que lui proposent les fournisseurs, comme une sorte de plafond au-delà duquel le tarif proposé n’est pas intéressant car trop margé. En résumé, le TRVE, plus élevé que le prix qu’EDF pourrait proposer en théorie, est un moyen de garantir la concurrence pure et parfaite du marché de fourniture d’électricité, pas un moyen « de garantir au consommateur un prix raisonnable » (Conseil d’État). Au 31 décembre 2022, 59% des consommateurs étaient en offre aux TRVE. - Offres de marché, proposées par la totalité des fournisseurs, y compris l’opérateur historique, qui fixent librement le prix, en dessous ou au-dessus du TRVE. Celui-ci peut être stable pour une certaine durée, variable en fonction des cours du marché de gros, être adossé aux TRVE, etc. Les offres sont nombreuses.
Peu importe l’offre choisie, le tarif final payé par le consommateur inclut, par tiers environ (hors bouclier tarifaire) :
- La fourniture de l’électricité, dans les conditions prévues par l’offre sélectionnée. Le montant proposé par le fournisseur variera évidemment selon la manière dont il s’alimente en électricité et la marge qu’il s’octroie.
- Le Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Électricité (TURPE) qui couvre les coûts d’acheminement des électrons pour les gestionnaires de réseaux. Son montant, réglementé, est proportionnel à la quantité d’électricité soutirée au réseau et à la puissance souscrite. Il est intégré à la facture du consommateur puisque ce dernier jouit du droit de bénéficier d’un « contrat unique », mêlant fourniture et distribution.
- Les taxes : elles comprennent principalement l’accise sur l’électricité, proportionnelle à la quantité d’électricité consommée et collectée par les fournisseurs pour l’Etat. Pour son bouclier tarifaire, le gouvernement a drastiquement réduit ces taxes mais en aucun cas les prix de l’électricité elle-même, grevant son budget.
III) Précisions quant à l’objectif d’une des dispositions de la motion n’ayant pu être motivée en raison des règles de forme en vigueur
Sur les obligations aux fournisseurs : L’objectif de la mesure est double. D’une part, permettre l’atteinte des objectifs européens en matière de renouvelables. D’autre part, mettre fin au phénomène des fournisseurs fantômes qui, dans une logique spéculative, s’approvisionnent uniquement sur le marché de gros où les prix fluctuent parfois dangereusement, mettant en risque les consommateurs.
IV) Disposition n’ayant pu être intégrée à la motion en raison des règles de forme
Les contrats pour la différence (CFD en anglais) dédiés aux renouvelables doivent être encouragés en tant qu’instruments utiles pour permettre d’atteindre les objectifs de production d’électricité renouvelable fixés à la maille européenne.
Pour information, Les CFDs consistent, pour la puissance publique, à payer aux producteurs la différence entre prix du marché et prix de vente coûtant quand leur production est plus chère et, inversement, pour les producteurs, à payer la puissance publique si leur production est plus compétitive que le marché. Ce mécanisme permet de mieux guider les investissements de long-terme ce qui est indispensable pour construire des installations de production d’énergie renouvelable. Il évite aussi de privatiser les gains et de socialiser les pertes outre mesure.