Convention Transition énergétique : discours de clôture par Eva Joly

Voici le discours de clôture d’Eva Joly, candidate d’EELV à l’élection présidentielle.

(nota : seul le discours prononcé fait foi)

Bonjour à toutes et à tous,

En cette veille du tragique anniversaire du début de la catastrophe de Fukushima, je ne peux commencer ce discours sans penser aux victimes d’hier, d’aujourd’hui et de demain du nucléaire.

Sans penser à nos amis japonais condamnés désormais à vivre avec tout ce qu’implique une catastrophe nucléaire. Mais je pense aussi aux victimes des essais nucléaires, de Tchernobyl…

Demain, tous ensemble, avec cette chaîne humaine entre Lyon et Avignon à laquelle je participerai, nous leur enverrons un message de soutien et d’amitié en même temps que nous manifesterons notre volonté de sortir enfin de l’ère nucléaire.

Je n’oublierai jamais le regard de ces mères, rencontrées lors de mon voyage à Fukushima, qui ont envoyé leurs enfants au loin pour les protéger. Le piège du nucléaire s’est refermé sur elles : elles n’ont nulle part où aller et ne savent que trop ce que rester signifie. La contamination est partout, mais reste invisible. A-t-on le droit de faire prendre ce risque ?

Après les drames humains que j’ai pu voir lors de mon voyage au Japon avec Denis Baupin, je souhaite m’adresser à la « génération Fukushima ».

Si vous avez 20 ans, permettez à celles et ceux qui naissent aujourd’hui de fêter leurs 20 ans dans un monde enfin libéré du nucléaire.

 

Aujourd’hui je suis en colère. Comment peut on encore douter que la transition énergétique soit une condition d’un avenir vivable, désirable, heureux ?

Réchauffement climatique, épuisement des ressources, risque nucléaire, il est pourtant évident que la transition énergétique n’est pas une lubie écologiste mais bien une nécessite ou plus exactement une obligation. Mais cette obligation est aussi, surtout, une incroyable opportunité.

La transition énergétique est en effet une opportunité de justice sociale et économique : mettre fin à la précarité énergétique, redonner le pouvoir sur l’énergie aux citoyens et aux territoires, créer des emplois et développer les petites et moyennes entreprises…

Au cours de la convention d’aujourd’hui, les raisons pour lesquelles nous devons engager cette transition énergétique vous ont été exposées, ainsi que la manière dont elle doit être menée et enfin ses conséquences. Je souhaite simplement revenir sur quelques points qui me paraissent essentiels.

Il n’y aura pas de transition énergétique si nous ne nous engageons pas d’abord dans un programme de réduction de notre consommation d’énergie. Consommer moins, consommer mieux, consommer juste. Seules la sobriété et l’efficacité énergétique nous permettent d’aborder cette transition dans de bonnes conditions, d’en assurer la réussite.

Mettre fin à la précarité énergétique, donner à tous l’accès à l’énergie, ou plus exactement aux services énergétiques : mobilité, chauffage, éclairage, culture… doit être notre priorité.

Pour protéger les Françaises et les Français de la hausse des prix de l’électricité nucléaire, du pétrole ou du gaz, il faut leur permettre de réduire leur consommation d’énergie, dans l’habitat comme dans les transports. Il faut engager notre pays sur la voie d’un mix énergétique 100 % renouvelable, en démultipliant ce que les éluEs écologistes font déjà sur le terrain, et en faisant des territoires et des PME les fers de lance de la transition énergétique.

Inutile de préciser que la fuite en avant avec les pétroles et gaz de schistes n’a pas sa place dans la transition énergétique !

Quand on voit ce qui se passe ici, en France, lorsque le grand froid arrive, on voit bien qu’il y a urgence. Près de 8 millions de personnes sont touchées par le phénomène en France. Nous devons prendre ce problème à bras le corps avec des mesures efficaces : tarifs sociaux et progressifs, aide aux travaux d’économie d’énergie, inciter voire contraindre les bailleurs privés à faire les travaux nécessaires, prévoir les moyens pour la rénovation des logements sociaux, mais aussi l’accès aux transports collectifs. Je propose d’investir quatre milliards d’euros par an dans les transports alternatifs à la voiture et au camion, en commençant par améliorer la qualité et l’offre de trains sur le réseau ferré local, et en développant le fret ferroviaire.

Mais la vague de froid a aussi mis en lumière la précarité de notre système électrique. Le chauffage électrique, pur produit du mythe du « tout électrique tout nucléaire » ruine les ménages qui sont de plus en plus nombreux à ne pas se chauffer, mais met aussi en péril l’ensemble du système électrique européen. Par une curieuse ironie de l’histoire, c’est grâce à la solidarité de nos voisins que nous avons échappé à la panne.

J’ai annoncé que notre transition écologique créerait 1 million d’emplois d’ici 2020.

La transition énergétique y tient une place prépondérante

Il nous faut rénover un million de logements par an au niveau «basse consommation d’énergie », en commençant par ceux dans lesquels vivent les huit millions de personnes en situation de précarité énergétique. Les bâtiments publics seront tous rénovés d’ici 2030. Ce plan permettra la création de 440 000 emplois directs et indirects dans le secteur du BTP d’ici 2020.

Le développement des énergies renouvelables permettrait la création de plus de 110 000 emplois directs et indirects. En matière d’énergie renouvelable, la France doit suivre la voie tracée par l’Allemagne dont les filières des renouvelables emploient 5 fois plus de salariés qu’il y a 10 ans. N’oublions pas qu’entre 2008 et 2010, la seule filière photovoltaïque a créé 35 000 emplois en France, hélas en partie perdus à cause de la politique suivie par le gouvernent Sarkozy.

Avec les énergies renouvelables, nous assurons vraiment notre indépendance énergétique à tous les niveaux, nous réduisons la vulnérabilité aux risques, aux dérapages des coûts et nous léguons de vraies rentes aux générations futures.

 

Vous le savez, je suis devenue écologiste à travers la question de l’exploitation des ressources du Sud par les multinationales du Nord. Contrairement aux énergies fossiles et fissiles, les énergies renouvelables sont par essence réparties sur les territoires et entre pays. Elles nous protègent des tensions et risques géopolitiques entre pays producteurs et consommateurs. Elles sont un des moyens de l’équité internationale indispensable à la paix.

Pour notre pays, l’objectif européen de 23% d’énergies renouvelables en 2020 est un minimum. De mon côté je propose 40%, hors carburants. Cet objectif peut vous paraître ambitieux : il l’est mais il est tout à fait réaliste. En effet, notre programme de transition énergétique prévoit un accroissement de la production d’Energies Renouvelables à des niveaux quasiment identique à ceux des professionnels du syndicat des énergies renouvelables. En revanche, nous sommes beaucoup plus ambitieux en ce qui concerne  l’efficacité énergétique.

Mais il n’y aura pas de transition énergétique digne de ce nom si elle ne s’accompagne pas d’une profonde réforme des modes de fonctionnement du système énergétique.

La montée en puissance rapide des énergies renouvelables ne pourra pas se faire sans un changement radical du contexte réglementaire et financier. Faciliter les projets. Ne pas, comme cela est le cas  aujourd’hui, les entraver par des procédures administratives lourdes et longues. Il sera nécessaire de réduire considérablement les délais en ce domaine, qui peut se satisfaire d’une situation où il est plus long d’implanter des panneaux solaires que d’obtenir un permis d’exploration de gaz de schiste ?

Par ailleurs, je vous propose une réforme assez simple, mais aux implications qui se chiffrent en milliards : intégrer dans le calcul de la CSPE l’ensemble des renouvelables. Autrement dit, je souhaite que l’hydraulique, énergie mature et largement rentabilisée, participe au financement. Des nouvelles énergies renouvelables. La rente hydraulique permettra de réduire la charge de la CSPE de 40%.

Concernant la chaleur renouvelable, dans mon contre budget pour 2012 – dont je rappelle qu’il permettait entre autre une réduction du déficit -, il est intégré dans les dépenses non pas un doublement, mais un triplement du fonds chaleur.

Pour démocratiser l’énergie, il faut aussi mettre en place et encourager l’investissement citoyen et redonner du pouvoir aux collectivités locales. Aux communautés urbaines et d’agglomération sera attribuée la compétence sur les réseaux de distribution de gaz, d’électricité et de chaleur.

Les entreprises de transport et distribution d’énergie (RTE, GRT, ERDF, GRDF…) doivent devenir indépendantes des entreprises de production d’énergie (EDF, GDF Suez, Total…) et leurs capitaux être entièrement publics. En ce qui concerne la distribution d’électricité, la réglementation doit assurer la transparence et l’équité des négociations de concession. En tant que bien commun, la production d’énergie ne doit pas être monopolisée par le secteur privé et relève d’une forte régulation publique. L’accès aux services énergétiques doit être garantie pour tous.

Une nouvelle fiscalité environnementale favorisera la transition énergétique ainsi que la limitation des risques et des impacts sociaux. Une Contribution Climat-Énergie  sera créée pour financer la transition. Cette contribution reposera sur une triple assiette : énergie primaire, gaz à effet de serre et risques environnementaux et sanitaires dont le nucléaire.

 

Au sein de la transition énergétique, la France a une responsabilité supplémentaire sur la plupart des pays : le nucléaire.

Au niveau mondial, le nucléaire est un nain énergétique, même en France il ne représente que 17% de l’énergie que nous consommons. Mais il jouit d’un pouvoir surdimensionné. Pouvoir de nuisance directe puisque qu’un accident nucléaire condamne des territoires entiers pour des décennies. Pouvoir de nuisance indirecte aussi car le mythe nucléaire est un frein inouï à la transition énergétique.

La France a donc un rôle central à jouer pour la sortie mondiale du nucléaire. Renoncer à son arsenal bien sur, mais engager aussi l’an II du nucléaire : le démantèlement et renoncer à la fuite en avant désastreuse. Notre pays est au cœur de la nucléocratie mondiale, nous devons donc montrer le chemin plutôt que de moquer nos voisins ou nier les victimes d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Cette sortie du nucléaire peut se faire en 20 ans. Elle doit s’accompagner de la création d’un pôle d’excellence industrielle en matière de gestion des déchets et de démantèlement. Les écologistes ont toujours combattu le nucléaire, civil et militaire, mais même si ces décisions n’ont pas été les nôtres, nous savons la responsabilité qui nous incombe aujourd’hui : assurer la sécurité et la sûreté de la gestion du nucléaire pour des centaines d’années.

Contrairement à ce que l’on entend de ci de là, arrêter progressivement la production d’électricité nucléaire et partant celle de combustibles et leur retraitement ne signifie pas la fin de l’industrie nucléaire mais bien sa transformation. Nous aurons besoin demain de savoirs, de savoir faire, de personnels et entreprises qualifiés et protégés pour gérer le suivi des sites et matières, le démantèlement, la surveillance etc.

En conclusion, nous devons être misES à l’abri des risques nucléaire et climatique. Je réitère mon  appel à la Génération Fukushima :

 

Si vous avez 20 ans, permettez à celles et ceux qui naissent aujourd’hui de fêter leurs 20 ans dans un monde enfin libéré du nucléaire et engagé dans la transition énergétique.

 

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