L’exploitation des gaz de schiste est une absurdité », tonnent Hélène Gassin, vice-présidente à l’environnement, à l’agriculture et à l’énergie du conseil régional d’Ile-de-France, et Jean-Philippe Magnen, porte-parole national d’EELV, démontrant via le « langage économico-centré [que certains patrons] ont tort » de proposer l’exploitation de cette énergie comme un des moyens de favoriser la compétitivité des entreprises basées en France.
oOo
Même au nom d’une économie classique et d’une logique étroite de compétitivité, l’exploitation des gaz de schiste est une absurdité.
Dans leur appel à François Hollande pour un choc de compétitivité, 98 patrons français se positionnent pour l’exploration et l’exploitation «des ressources nationales comme les gaz de schiste». Le rapport Gallois publié ce 5 novembre 2012, listant des mesures pour relancer la compétitivité, prône la reprise des recherches sur l’exploitation des gaz de schiste. Dès sa publication, le gouvernement français a d’ores et déjà indiqué que cette piste serait exclue. Nous saluons cette position claire du gouvernement dans la lignée du discours de François Hollande prononcé lors de la Conférence environnementale de septembre 2012 où il avait exprimé fermement qu’il excluait de délivrer, sur tout le quinquennat, tout permis d’exploiter les gaz de schiste par fracturation hydraulique. Mais nous souhaitons revenir sur le fond de ce dossier.
Nous ne chercherons pas à convaincre ces patrons sur le terrain de la protection de l’environnement, de l’impact sur l’économie locale du tourisme et sur l’agriculture, des conséquences pour les réserves en eaux, de la protection de la santé des travailleurs et des riverains, de la protection du climat… autant d’arguments qui semble-t-il ne les intéressent pas. Utilisons plutôt leur langage économico-centré pour montrer qu’ils ont tort, même dans leur propre mode de pensée.
La «raison économique» impose d’attendre
Dans leur tribune, «Une fracture en attente de devis», les économistes Amélie Méjean et Stéphane Hallegatte proposent un calcul de bon gestionnaire. Considérant que le prix du pétrole et du gaz va augmenter à l’avenir, il est rationnel économiquement d’attendre pour éventuellement exploiter les gaz de schiste: il sera plus rentable de les exploiter pour remplacer une ressource chère. C’est une problématique bien connue des pays miniers. Les deux économistes calculent ainsi que garder ce réservoir intact, pour l’exploiter éventuellement dans deux décennies, représenterait en soi un placement financier virtuel dont le rendement est évalué à 5,5 % par an sur vingt ans. Même convaincus de la nécessaire exploitation de nos ressources fossiles, nous devrions le faire le plus tard possible au seul motif de la rationalité économique. Voilà la démonstration que ces patrons ne savent pas gérer au-delà du bout de leur nez: le problème de compétitivité des entreprises françaises vient probablement plus de là que de l’origine du gaz…
Une question de priorités
Il faut évidemment ajouter à ce raisonnement plusieurs éléments. Ce délai de vingt ans nous donnera le temps d’organiser la vraie transition énergétique, qui amoindrirait l’obligation d’importations massives d’énergies fossiles au profit d’autres solutions, durables. Sur le champ de l’emploi, il est de plus avéré que les investissements réalisés dans les gaz de schiste seraient bien moins créateurs d’emplois que les mêmes niveaux d’investissement dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.
Les patrons appellent également à subordonner la lutte contre le changement climatique au maintien de la compétitivité. Les écologistes répondent que la lutte contre le changement climatique est source de compétitivité et de résilience de l’économie. Sans compter que philosophiquement, il semblerait plus logique d’avoir une économie un peu moins performante dans un monde viable, plutôt qu’une économie très performante dans un monde invivable.
Le coût de l’énergie pousse à la compétitivité
La question de la compétitivité des entreprises n’a rien à voir ni avec la provenance du gaz, ni avec la lutte contre le changement climatique, ni même avec le prix de l’énergie. Un regard outre-Rhin nous indique que, si certaines entreprises reçoivent un soutien pour l’accès à une énergie bon marché de par leur activité énergivore, globalement l’économie allemande est plus compétitive malgré un prix de l’énergie plus élevé et un effort en faveur du climat bien plus important. Cette compétitivité est même en partie obtenue «grâce» à une énergie chère, décidée par le gouvernement au moyen de différentes taxes: une énergie chère est source de compétitivité puisqu’elle pousse à la recherche et développement en faveur de l’efficacité énergétique.
Les vraies «ressources nationales»
Mais les écologistes rejoignent pourtant les patrons sur quelques points: il faut mobiliser les «ressources nationales». Les principales ressources nationales, les vraies, sont les gigantesques gisements d’efficacité énergétique d’une part et les énergies renouvelables d’autre part: développons les deux massivement, et notre compétitivité sera améliorée autant que notre déficit commercial sera réduit. Il faut d’ailleurs se féliciter que l’efficacité énergétique soit enfin reconnue par les patrons comme stratégiquement prioritaire. Les écologistes le disent depuis des décennies et sont heureux de savoir que les patrons rejoignent leur analyse. Gageons qu’ils ne tarderont pas à faire de même sur d’autres sujets…