Relancer l’Europe par la transition énergétique

Relancer l’Europe par la transition énergétique

 par Dany Cohn-Bendit et Yannick Jadot, Députés européens

En 1952 naissait la Communauté européenne du charbon et de l’acier. L’enjeu n’était pas mince : construire la paix en organisant l’indépendance énergétique et, partant, la puissance industrielle et économique de l’Europe. Soixante ans plus tard, l’Europe est confrontée à une poly-crise économique, sociale, écologique et politique majeure doublée d’un questionnement existentiel croissant. Le défi énergétique reste immense. L’Europe, pauvre en ressources fossiles, dépend de plus en plus du reste du monde pour satisfaire ses besoins en gaz, pétrole et uranium, avec une facture de près de 500 milliards d’euros en 2011, soit 3,9% de son PIB. La France n’est pas en reste avec une facture énergétique de plus de 60 milliards d’euros. En outre, les prix de l’énergie ne cessent d’augmenter et jusqu’à 125 millions d’Européens souffrent de « précarité énergétique ». De nombreuses infrastructures énergétiques arrivent en fin de vie et des investissements de plusieurs milliers de milliards d’euros seront nécessaires dans les deux décennies qui viennent. Les dégâts environnementaux et sanitaires liés à l’énergie s’alourdissent et le dérèglement climatique s’accélère. Nos futurs proche et plus lointain dépendent de nos choix énergétiques présents.

 

Nous proposons que la France porte la transition énergétique comme le pilier d’une relance à l’échelle de L’Union, fondée sur les deux éléments du consensus européen en la matière : les économies et l’efficacité énergétique d’une part, les énergies renouvelables d’autre part. Ainsi la France reprendrait- elle l’idée de Communauté européenne de l’énergie portée par la Fondation Notre Europe de Jacques Delors, avec pour objectif de décarboner l’économie européenne d’ici 2050.

 

Les bénéfices liés à une telle transition énergétique sont avérés. Pour les renouvelables, des centaines de milliers d’emplois, des réseaux puissants de PME innovantes sur l’ensemble des territoires et les deux tiers des capacités électriques nouvelles installées en Europe. En diminuant de 20% son ébriété énergétique, l’Union européenne économiserait chaque année plus de 100 milliards d’euros, chaque ménage 1000 euros et près d’un million et demi d’emplois seraient créés ! Atteindre un tel objectif économiserait l’équivalent de 14 gazoducs Nabucco. Investir massivement dans l’isolation des bâtiments permettrait de relancer un secteur qui contribue à 12% du PIB européen, de créer 100 000 emplois rien qu’en France et de réduire par trois en moyenne les dépenses de chauffage. Réduire de 25% les consommations des moteurs automobiles permettrait à chaque ménage d’économiser près de 500 euros par an. Et développer les transports en commun reste de loin la réponse la plus responsable socialement et écologiquement à nos besoins de mobilité.

 

En adoptant le « paquet climat-énergie » en 2008, l’Union européenne prenait le leadership mondial dans ce domaine : elle s’engageait d’ici 2020 à réduire d’au moins 20% ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, à avoir 20% d’énergies renouvelables dans son « mix énergétique » et à diminuer de 20% sa consommation d’énergie par rapport à un scénario de « laisser faire ».

 

Ces objectifs s’appuyaient sur des filières industrielles renouvelables puissantes. Quatre ans plus tard malheureusement, l’ambition climatique est insuffisante, tant du point de vue de la science climatique que des objectifs attachés au marché des quotas de CO2 ; les mesures d’efficacité énergétique nous laissent à mi- chemin de l’objectif affiché ; les industries des renouvelables sont confrontées à une crise majeure liée pour partie à une concurrence déloyale des importations en provenance de Chine ; les prix de l’énergie continuent de croître et notre dépendance énergétique devient de plus en plus problématique.

 

L’Europe a les moyens d’une transition énergétique porteuse d’une révolution industrielle :

 

• Les fonds structurels (FEDER et FSE) : le cadre de financement pluriannuel 2014-2020 offre un potentiel d’environ 18 milliards d’euros sur l’efficacité énergétique et les renouvelables. La classification des régions françaises entraîne pour la plupart d’entre elles l’obligation d’investir au moins 20% de ces fonds sur l’efficacité énergétique. En attendant, la France pourrait sans aucun risque juridique dépasser le plafond de 4% des fonds affectés à l’efficacité énergétique. La France devrait défendre l’adoption de conditionnalités fortes sur les fonds structurels.

 

• Marché carbone : la faiblesse des contraintes carbone menace la pérennité même du système ETS. En passant à 30% l’objectif européen de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, la mise aux enchères des quotas d’émission pourrait générer près de 200 milliards d’euros de revenus pour les Etats membres sur 7 ans (avec un prix de 30 euros la tonne de carbone). L’Allemagne qui cherche aussi des moyens pour financer sa transition pourrait soutenir une telle démarche. L’échéance pour cette discussion au sein du Conseil est novembre.

 

• Connecting Europe : pour le moment 40 milliards d’euros sont prévus sur 7 ans, dont 9 milliards dans l’énergie, 22 milliards dans les transports et 9 milliards dans les télécoms. La négociation des priorités des projets pouvant bénéficier de fonds européens est en cours. La CDC, la KFW et la BEI soutiendraient l’intégration de l’efficacité énergétique et des renouvelables dans les projets financés sous Connecting Europe.

 

• Banque européenne d’investissement : En plus de mesures de protection de l’Europe vis-à-vis de la concurrence déloyale chinoise, l’industrie photovoltaïque européenne a besoin de mieux s’organiser. La BEI pourrait soutenir la création d’une grosse unité de production de cellules photovoltaïques d’environ 3000 mégawatts par an, potentiellement en France, capable de concurrencer la Chine sur ce marché.

 

De la même manière, les Etats membres, avec le soutien financier de la BEI et des projects bonds, pourraient lancer un « EADS » du tramway. Le tramway va devenir le transport collectif et doux privilégié des villes dans le monde entier. L’Europe, notamment avec Alstom et Siemens, pourrait prendre le leadership mondial de ce marché.

 

Enfin, la BEI pourrait renforcer les financements à destination des collectivités locales sur l’efficacité énergétique.

 

• Horizon 2020 : 80 milliards d’euros sur 7 ans. Orienter nos programmes de recherche sur l’efficacité énergétique et les renouvelables pourrait profondément renforcer la recherche et l’innovation dans ces secteurs. Nous proposons un grand programme de R&D pour développer la voiture à 2 litres/100 km.

 

• La mise en œuvre de la taxe sur les transactions financières (avec un retour potentiel de 12 à 14 milliards d’euros par an pour la France) et d’une taxe carbone, en abondant les ressources propres de l’Union, généreraient évidemment d’autres moyens d’appuyer ce grand projet de transition énergétique.

 

• Marchés publics : intégrer la préférence géographique, en particulier une clause de « contenu local », dans la révision en cours des directives européennes. Dans un contexte de raréfaction des finances publiques, la commande publique (autour de 16% du PIB européen) peut devenir un levier très puissant de soutien à des entreprises locales, en particulier les PME, de renouvelables et d’efficacité énergétique. Un tel dispositif est un élément au moins aussi puissant, sinon plus, et complémentaire, de la réciprocité. Les négociations sont en cours au Parlement et au Conseil.

 

Innovation, modernisation économique et ré-industrialisation, économies d’énergie…les bénéfices sont immenses pour les citoyens (emplois, pouvoir d’achat…), pour l’économie (reconversion des sous-traitants de l’automobile, création de centaines de PME, réduction des coûts…), comme pour les comptes publics. Sortir du carbone participe aussi d’un projet de société dynamique et porteur de sens pour la jeunesse.

 

En apportant des solutions durables aux contraintes quotidiennes des Européens comme aux défis globaux, la relance européenne par la transition énergétique répond concrètement aux enjeux de la conférence environnementale comme à ceux du « pacte de croissance » (que nous préférons appeler « pacte d’investissement pour l’avenir »), de l’Union européenne.