Intox / désintox : le nucléaire et la recherche publique

Le nucléaire dans la recherche publique française

La rubrique « Désintox » du journal Libération fait sa rentrée sur une phrase de Jean-Vincent Placé, Sénateur EELV de l’Essonne : « Aujourd’hui, la recherche sur les énergies en France, c’est à 85% tourné vers le nucléaire ».

Force est de reconnaître que Jean Vincent Placé s’est un peu emporté dans son chiffrage, et l’analyse de Libé, au pied de la lettre, est juste.

Cependant, Jean Vincent Placé n’a pas tout à fait tort !

1. Jean Vincent Placé n’est pas à côté de la plaque, il a juste un train de retard !

  • Dans le budget actuel…

Libération donne les chiffres de répartition du budget de recherche consacré à l’énergie : sur la base d’une note officielle qui circule actuellement en préparation de la conférence environnementale, EELV confirme les ordres de grandeur : en 2010, le nucléaire représentait plus 50% du budget de la recherche publique sur l’énergie que 85%. En 2011, l’équilibre est à peu près le même. Le rapport sénatorial sur le coût de l’électricité dont Jean Desessard, Sénateur EELV de Paris était le rapporteur, confirme également ces chiffres. On y trouve le graphique suivant :

 

 

Il y a une nuance de taille à apporter à ces chiffres : ils ne prennent certainement pas en compte les dépenses dans le cadre d’Euratom (qui représente au niveau européen 3 milliards d’euros) et surtout la participation financière dans ITER (1,5 milliards d’euros rien que pour la France) ! Il faudrait donc y ajouter quelques centaines de millions d’euros par an consacrés au nucléaire au titre des projets internationaux…

  • Mais dans le passé proche, Jean Vincent Placé avait raison…

Il n’avait pas mis ses fiches à jour! Car avant le Grenelle de l’environnement, l’ordre de grandeur était bien celui dont il parle.

Seule source, à la connaissance d’EELV, qui fait la comparaison : un rapport de l’Agence Internationale de l’Energie daté de 2004. Voici la répartition historique, année par année, entre 1985 et 2002 :

 

Pendant les 17 années pour lesquelles on dispose de données, le nucléaire a bénéficié de 85 à 90% des ressources publiques. Et les énergies renouvelables ? Moins de 2% !

L’inflexion a été réalisée à la suite du Grenelle de l’environnement.

2. L’argument de fond de Jean-Vincent Placé reste juste

  • L’engagement de Sarkozy n’a pas été tenu : les renouvelables toujours parent pauvre

Nicolas Sarkozy déclarait en 2007 : « Là où nous dépenserons 1 euro dans le nucléaire, nous dépenserons le même euro dans la recherche sur les technologies propres et la prévention des atteintes à l’environnement. » Pendant la campagne électorale de 2012, il déclarait : « Depuis que je suis président de la République, j’avais pris l’engagement 1 euro dans le nucléaire, 1 euro dans le renouvelable. »

Dans le deux cas, cela n’a pas été respecté. Il suffit de reprendre le premier graphique :

– Les renouvelables ne bénéficiaient, en 2010, que de 12% des crédits. On est loin de l’égalité avec le nucléaire, et cela reste toujours inférieur aux sommes consacrées à la recherche dans les énergies fossiles (15%).

– Si on y ajoute l’efficacité énergétique et les technologies de stockage, les « technologies propres » atteignent péniblement 37%.

Il y a bien la moitié du gâteau pour le nucléaire, mais c’est loin de faire l’autre moitié pour les renouvelables et pour l’efficacité énergétique…

  • Faut-il raisonner en budgets annuels ou en budget total ?

La Cour des Comptes, dans son rapport sur les coûts de la filière nucléaire, estime le budget de la recherche publique investi dans le nucléaire à 38 milliards d’euros entre 1955 et 2010.

Sur la base des données de l’AIE (cf. supra), on peut estimer que non-nucléaire a bénéficié de quelque chose entre 10 et 20% de la recherche publique. Et, das cette fourchette, les énergies renouvelables ont pu peut-être avoir 2 ou 3%, grand maximum 5%, du budget public.

  • Autant d’argent pour faire quoi ?

Autre moyen de regarder : 80 ou 90% du budget de la recherche publique en France permet quoi ?

Ces masses gigantesques permettent de produire … 17% de l’énergie finale consommée en France. Eh oui, les 75% d’électricité d’origine nucléaire ne représentent qu’une petite partie de l’énergie consommée. Rappelons que l’électricité ne représente que 24% de toute l’énergie consommée en France, loin derrière le pétrole par exemple.

Donc en résumé, on a consacré 80 à 90% de la recherche publique pour arriver à produire 17% de nos besoins. Logique, non ?

  • Et le budget maintenant ?

Mais au fait, le nucléaire n’est-il pas une technologie mature capable de dégager une très grande rente en France ? Dans ce cas, n’est-il pas un principe de bon sens qu’une technologie mature et rentable finance son propre développement ? Et que les deniers publics soient consacrés aux technologies émergentes ?

De deux choses l’une :

– soit le nucléaire est mature et rentable, et dans ce cas, le budget public de recherche dans l’énergie consacré au nucléaire devrait être nul.

– Soit le nucléaire n’est ni mature, ni rentable, et il doit continuer de bénéficier de soutiens publics forts pour pouvoir tenir et affronter l’avenir.

En conclusion, si Jean-Vincent Placé s’est trompé sur le chiffre avec quelques années de retard, la critique et l’argumentaire restent totalement valables : la recherche publique consacrée à l’énergie a été et reste encore phagocytée par le nucléaire, dans des proportions totalement irrationnelles.